Bio débat
Ce billet à été posté en anglais par Steven Novella sur le blog sceptique Science-Based Medicine le 25 mai 2017.
Le marketing implique parfois des connaissances scientifiques utiles à vous faire croire des choses fausses avec le but spécifique de vous vendre quelque chose, qu’il s’agisse d’un produit, d’un service, ou même d’une idéologie. Le lobby bio, par exemple, s’est très bien débrouillé pour créer un effet halo positif autour de lui sur des questions de santé et d’environnement pour les produits bio qu’il commercialise, tout en discréditant ses concurrents (ces dernières années, cela à surtout concerné les OGM).
Cependant, ces allégations concernant la santé et l’environnement sont toutes démonstrativement fausses. Les aliments bio ne sont ni meilleurs pour la santé, ni plus nutritifs que les aliments non bio. De plus, la technologie OGM est globalement sûre et il n’y a pas de risques connus pour la santé concernant les aliments OGM actuellement commercialisés.
Il y a cependant une différence encore plus dramatique entre les croyances concernant l’agriculture bio et son impact environnemental réel. En effet, cette agriculture est pire pour l’environnement que l’agriculture conventionnelle en termes d’impact vis à vis des quantités de nourriture produite.
En premier lieu, l’agriculture biologique utilise des pesticides aussi. Ces pesticides doivent être « naturels », c’est à dire que les pesticides utilisés ne le sont pas pour leurs propriétés chimiques. Idéalement, le choix d’un pesticide et d’une stratégie d’application devraient reposer sur une approche evidence-based, c’est à dire basée sur des preuves, et optimisés de sorte à en obtenir les meilleurs effets possibles avec un impact minimal sur la santé, l’environnement, leur coût et leurs inconvénients. Mais le premier critère de choix en agriculture biologique est le fait d’être « naturel », quand bien même ce pesticide et/ou la stratégie employés seraient pires sur tous les points concrets précédemment cités. C’est un cas flagrant d’idéologie l’emportant sur des éléments factuels concrets, sur des preuves. Ce raisonnement est basé sur ce qu’on appel « l’appel à la nature », à savoir un biais de raisonnement, voire un sophisme, qui repose sur le pari non assuré que quelque chose de jugé « naturel » sera toujours, par définition, meilleur que quelque chose de manufacturé par les humains.
Mon reproche principal au label bio en fait, c’est qu’il représente une fausse dichotomie idéologique. Chaque pratique agronomique devrait être jugée selon ses propriétés intrinsèques, plutôt qu’être automatiquement incluse arbitrairement sous une même marque. Je me fiche de savoir si une pratique est jugée bio ou non, ce qui importe, ce sont ces impacts dans la réalité.
Une nouvelle étude allemande
Le plus gros problème de l’agriculture biologique est probablement qu’elle utilise plus de surface agricole que l’agriculture conventionnelle. La plupart des impacts négatifs de l’agriculture sont dus à cela. C’est d’ailleurs la raison de la chute des populations de papillons monarques, car les prairies où poussent les asclépiades qu’ils butinent sont remplacées par des terres agricoles pratiquant le désherbage. Il n’y a concrètement rien que vous puissiez faire pour rendre une terre agricole meilleure pour l’environnement qu’un écosystème naturel [NdT : la notion « d’écosystème naturel » est un raccourci pour dire « qui n’est pas un agrosystème directement exploité -et fortement modifié- par les humains].
En d’autres termes, si vous vous souciez véritablement de l’environnement, alors vous devriez privilégier les pratiques qui minimisent l’usage extensif de terres pour la production alimentaire. Ces pratiques doivent également être durables vis à vis d’une population mondiale encore croissante. Cela signifie accepter les biotechnologies, et recourir à des pratiques agronomiques basées sur la science plutôt que l’idéologie.
Une récente étude allemandeconfirme cette insuffisance de l’agriculture biologique. Les chercheurs ont comparé ce qu’il considéraient être une diète alimentaire typiquement bio et une diète typique non bio selon deux mesures, à savoir leur empreinte carbone, et la surface de terre nécessaire à leur production. Ce qui me déplaît dans cette étude, c’est qu’ils ont mixé plusieurs variables, mais ils ont mis en évidence que le régime alimentaire non bio typique incluait 45% plus de viande qu’un régime bio typique.
Les résultats principaux de cette étude sont les suivants :
L’empreinte carbone des régimes bio et non bio sont équivalents (pas de différence significative). Cependant, cela inclut le fait que le régime non bio inclut 45% de viande supplémentaires, et la consommation de viande est la principale cause d’émission carbone. Ainsi, si on élimine la variable viande, l’empreinte carbone du régime bio est très supérieure, ce point étant simplement masqué par la réduction de la quantité de viande du régime bio typique.
De manière évidente, la solution idéale consisterait à utiliser l’agriculture conventionnelle tout en réduisant la consommation globale de viande.
Par ailleurs, tout en conservant la viande, le régime bio utilise 40% supplémentaires de terres agricoles par rapport au régime non bio, ce qui est une différence énorme. Ce résultat est du reste cohérent avec des études précédentes qui montraient déjà que l’agriculture biologique nécessitait 20 à 40% de surface supplémentaire. Et cette différence va encore probablement augmenter avec le développement de nouveaux OGM, qui sont pourtant arbitrairement bannis par les règles de l’agriculture biologique [NdT : ces OGM permettant un rendement égal ou supérieur à leur contrepartie non GM pour une surface agricole inférieure, typiquement en aidant la plante à atteindre son potentiel génétique maximum].
Les scientifiques estiment qu’on utilise actuellement 40% de la surface terrestre pour l’agriculture, ce qui représente quasiment toute la surface disponible pour cela. Sachant que la population mondiale augmente [NdT : au moins pour quelques années encore], il nous faut plus de nourriture pour une surface qui ne s’étendra pas, et nous devons de surcroît réduire notre emprunte agricole en utilisant moins de surface. Dès lors, l’agriculture bio semble tout simplement aller dans la direction inverse à l’intérêt environnemental [NdT : il ne semble pas aussi simple de réduire ce point en alléguant que « le problème, c’est la répartition, pas la production » ou encore que « le problème c’est le gaspillage », je vous renvoie aux discussions ayant suivi ce billet].
Lorsque j’ai soulevé ce point dans le passé, des défenseurs de l’agriculture biologique ont parfois avancé que cela ne prenait pas en compte une agriculture bio optimisée, et que si celle-ci était pratiquée correctement, elle égalerait voire même surpasserait l’agriculture conventionnelle. Il n’y a cependant pas de bases solides à cette affirmation. C’est par ailleurs une sorte de sophisme du vrai écossais, comme si les agriculteurs bio qui utilisaient plus de surface que les agriculteurs non bio n’étaient pas de « vrais » agriculteurs bio. Cette argumentation n’est par ailleurs soutenue semble-t-il que par des exemples anecdotiques sur les rendements incroyables obtenus par quelque agriculteur bio.
Mais les preuves scientifiques racontent toute simplement une histoire différente. A savoir que lorsqu’elle est appliquée dans le monde réel et à des échelles pertinentes, l’agriculture bio est moins productive que l’agriculture conventionnelle. Même si nous considérons les estimations les plus conservatrices à savoir 20% de surface agricole de plus, ce n’est pas quelque chose que nous sommes en situation de pouvoir nous permettre. Il n’y a pas 20% de surface terrestre de plus à conquérir.
Un autre mauvaise argument qui arrive généralement dans une telle situation est un non-sequitur [NdT : c’est à dire une suite d’arguments dont la succession n’est pas logique], sur le gaspillage alimentaire. Ce serait en l’occurrence comme dire que nous n’avons pas besoin d’énergie décarbonée, mais juste de réduire notre gaspillage énergétique. Bien entendu que nous devrions optimiser les circuits de distribution de sorte à réduire les gaspillages alimentaires, mais en fait, c’est exactement ce que des technologies comme les OGM permettent de faire, en prolongeant la conservation des aliments, en retardant le brunissement des fruits, et autres manipulations de ce genre. Ça ne signifie pas pour autant qu’on devrait gaspiller à tour de bras si par ailleurs nos stratégies étaient optimales : l’enjeu est que la stratégie soit optimale à tous les niveaux, aussi bien à celui de la production qu’à celui des surface cultivées.
Conclusion
Le label bio est contre-productif. En étant basé sur l’idéologie, il crée de fausses dichotomies qui encouragent le recours au mixe confus de variables de mesures diverses. Les résultats de l’étude allemande déconstruisent totalement cette fausse dichotomie et montrent l’inefficacité de l’agriculture bio de manière réaliste.
Il est manifeste que l’agriculture bio n’est pertinente à aucune échelle, ni aussi efficace que l’agriculture conventionnelle. Cela pourrait bien être en fait une motivation à l’opposition aux OGM : les tenants de l’agriculture bio savent qu’ils ne peuvent les concurrencer sur aucun aspect. Avec l’usage croissant des biotechnologies, cette différence va probablement croître dans le futur. Et imaginez si les scientifiques arrivent à modifier la photosynthèse ou à fabriquer des variétés qui fixent leur propre azote. Le lobby bio à en fait besoin de stopper l’avance scientifique en agriculture si elle veut rester viable [NdT : comme les lobbys pétroliers ou cigarettiers avaient besoin de stopper la science pour perdurer, ce qu’ils ne sont pas arrivés à faire, tout en étant incommensurablement plus puissants que le lobby bio ; ils sont en revanche arrivés à durablement désinformer le public et les décideurs politiques].
Ils ont dès lors besoin de maintenir des pratiques trompeuses de marketing pour répandre la malinformation à propos des impacts réels de l’agriculture biologique. Si vous êtes pro-environnement, vous devriez logiquement être anti-agriculture biologique. Et pourtant, le lobby bio aura probablement convaincu beaucoup d’entre vous que le bio est meilleur pour l’environnement.
Il est très difficile de s’opposer à un discours séduisant avec d’austères preuves scientifiques pour seul équipement. Espérons que cela ne soit pas l’épitaphe de l’Humanité.
Merci pour cette traduction mais si je reconnais la logique intrinsèque, je ne suis pas du tout convaincu.
Je pense que, logiquement, ce billet économique oublie des pans importants de ce qui fait la hype autour du Bio, en tout cas en France : une meilleure rémunération des agriculteurs, une association fréquente avec des circuits courts, une plus grande résilience du système avec moins d’intrants provenant de quelques acteurs multinationaux (utilisations des effluents issus de l’élevage pour la fertilisation des productions qui nourriront le bétails par exemple). Il ne faut pas oublier non plus qu’il reste certainement de la place pour des progrès agronomiques en agriculture bio : sélection de variétés plus résistantes à ceci ou à cela, meilleurs rotations des cultures, développement d’engins agricoles adaptés à un travail mécaniques et non « chimique » (« naturel » ou non). De la même manière que l’agriculture conventionnelle n’a pas attendu les OGM pour évoluer, il n’y a pas de raison de penser que le « bio » ne verrait pas ses rendements évoluer avec l’intérêt accru des agronomes.
La production de nourriture ce n’est pas un système économique comme un autre, même si les neo-liberaux américains ne veulent pas l’entendre, parce que le risque en cas de disruption de la chaîne (ex : Trump décide de punir l’Europe en interdisant l’exportation des semences de Monsanto ou les engrais de Dow Chemicals) c’est la mort des gens. On ne parle pas de voiture ou de téléphone portable ici. L’interdépendance avec de grandes entités multinationales c’est ce qui rend le système fragile.
Concernant les terres agricoles, là aussi c’est un argument qui fait semblant de ne pas voir que si les africains meurent de faim ce n’est pas parce que les allemands consacrent trop de terres au bio mais parce que les africains ont un système de distribution défaillant empêchant de sortir d’une agriculture vivrière.
On n’importe pas en net de nourriture en Europe, on en exporte. Autrement dit, on a aujourd’hui trop de terres agricoles en Europe. La même chose est vraie pour les USA.
Sans oublier qu’on a tellement trop de terres agricoles qu’aux USA on produit du maïs pour en faire de l’essence avec un rendement énergétique final négatif !
Donc cet argument ne fonctionne pas.
Si je résume, l’agriculture conventionnelle est mauvaise pour la biodiversité (l’argument inverse présenté dans le billet est à mourir de rire, car bien sûr un agriculteur ne vas pas laisser une praire en prairie simplement parce qu’il sait que le monde a assez de maïs, c’est une décision purement économique et s’il y a un débouché, il mettra la praire en culture s’il peut en espérer un profit) car permet/nécessite de plus grandes exploitations pour atteindre la rentabilité ce qui veut dire moins de haies, lieu de la biodiversité (insectes, oiseaux, petits rongeurs), lutte contre les nuisibles en tuant tous les insectes au lieu d’essayer d’arriver à un « bio-contrôle » qui est lui favorable à la bio-diversite, diminue l’emploi agricole, rend le système alimentaire moins résilient et génère du gaspillage en éloignant les lieux de productions des lieux de consommation.
Un point sur le billet en lui même : j’ai déjà lu régulièrement cette accusation autour du « lobby du bio ». Je ne sais pas comment c’est aux USA mais en FRANCE en tout cas, parler de la puissance du lobby du bio quand on pense à la puissance de la Fnsea ou à Limagrain, ça me fait un peu rire.
Pour finir, je ne sais pas si ça a été traité par ailleurs mais j’ai déjà lu plusieurs articles montrant que les promesses des OGM avaient largement été démenties par la réalité. On nous vend toujours les plantes résistantes à la sécheresse, qui vont sauver le tiers monde, les diminutions d’utilisation de pesticide et d’engrais grâce à des plantes plus résistantes aux maladies. Ce qu’on vit c’est une augmentation continue de l’utilisation de pesticides et d’engrais. On nous vend des rendements miracles, quand ce ne sont pas les fabricants qui font les comptes, c’est rarement aussi impressionnant (http://factchecker.in/cotton-harvests-nearly-doubled-since-bt-cotton-minister-fact-yields-have-stagnated/,https://www.nytimes.com/interactive/2016/10/30/business/gmo-crops-pesticides.html)
Voilà… tout n’est pas seulement histoire de rendement, il y a bcp d’autres facteurs socio-économiques qui peuvent influencer les choix faits en ce moment. Les agronomes américains considèrent, en bons neo-libéraux, que tout le monde fait uniquement des choix qui maximisent le profit (l’homo-economicus, lire « naissance de la bio politique » de Michel Foucault à ce sujet) à court terme. Il s’avère que le monde et les gens ne sont pas tous ainsi faits. Même si c’est moins élégants quand on doit mettre le monde en équations.